1. Les dysfonctionnements
L’article 15 de la Constitution fait du Président de la République le « chef des armées » et cet article précise qu’ « Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». Cette disposition – ainsi que l’article 5 – sert de fondement à une lecture présidentialiste du fonctionnement de la Ve République en matière de défense nationale. En conséquence, il y aurait un domaine réservé au profit de ce dernier en matière de défense nationale. Pourtant, cette lecture présidentialiste repose principalement sur une pratique plus que sur une conséquence juridique de l’article 15. À ce stade, il serait donc possible d’affirmer qu’il n’est pas utile de modifier le texte si c’est simplement une pratique présidentialiste qui a conduit à modifier la place du Président dans le domaine de la défense. Cependant, cette vision est tellement ancrée dans la conception de la Ve République – après l’avoir fortement critiqué dans le Coup d’état permanent, François Mitterrand a reproduit l’approche gaullienne – qu’une modification du texte est nécessaire pour rétablir l’équilibre initial de la Constitution de 1958. D’ailleurs, dans les premières années de la Ve République le Président de la République était resté en retrait sur les questions militaires ; la captation présidentielle de la compétence de défense nationale ne commençant véritablement qu’à partir de la Semaine des barricades (24 janv. – 1er fév. 1960) et fût définitive avec le décret de 1964 sur les armes atomiques.
Le Comité Balladur avait identifié, en 2007, cette dissonance entre le texte et la pratique de la Ve République. Cependant, les conclusions de ce Comité étaient divergentes ; il s’agissait de mettre en cohérence le texte avec la pratique et non l’inverse. En somme, le but était de modifier l’article 21 de la Constitution en considérant que le Premier ministre « met en œuvre les décisions prises dans les conditions prévues à l’article 15 en matière de défense nationale » . L’objectif de ce Comité était donc de présidentialiser la défense nationale en partant du principe que, dès lors que le Président est le garant le « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire » (article 5) et qu’il est le chef des armées(article 15), il serait « normal » qu’il exerce directement et matériellement cette compétence, et d’autant plus depuis qu’il est élu au suffrage universel direct.
Toutefois, une telle vision de l’exercice de la compétence nationale a été écartée en 1958. Ensuite, la Constitution n’a pas exclu, bien au contraire, le Premier ministre de la matière de la défense nationale : article 20 « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée » et article 21 « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale (…) Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l’article 15 ». La Ve République, dans la logique des régimes parlementaires, a donc attribué au Président un titre honorifique en matière de défense dans la pure tradition républicaine et a donné au Premier ministre et à son Gouvernement l’exercice des compétences en matière de défense nationale. Il y a donc quelque chose d’antinomique à ce qu’en vertu de l’article 15 de la Constitution ce soit le Président qui préside les « conseils et les comités supérieurs de la défense nationale » et que le Premier ministre n’exerce cette compétence que de manière résiduelle, comme un simple suppléant. Si le Président a seulement un titre honorifique en matière de défense nationale, le Premier ministre doit présider les conseils et comités aidant aux prises de décisions de l’exécutif stricto sensu.
2. Le remède : la proposition
La proposition est donc double. D’une part, maintenir le fait que le Président de la République est le chef des armées. Comme l’a démontré Thibaud Mulier dans sa thèse, Les relations extérieures de l’État en droit constitutionnel français, faire du Président de la République le chef des armées renvoie principalement à une question de symbole : « la subordination constitutionnelle du militaire au pouvoir civil ainsi que la permanence de l’État » (p. 649). Sous les Républiques précédentes, une disposition similaire existait sans pour autant que le Président ne devienne concrètement celui qui exerce la fonction matérielle de chef des armées, cette dernière relevant du Premier ministre. Ainsi, il est tout à fait possible de maintenir ce rôle honorifique au Président de la République. D’autre part, et en revanche, il s’agit de transférer la présidence des « conseils et les comités supérieurs de la défense nationale » de l’article 15 de la Constitution à son article 21. En conséquence, le Premier ministre présiderait ces conseils et comités ce qui écarterait le Président des lieux de prise de décision en matière de défense nationale.
3. Les effets escomptés et leur justification
Cette proposition repose sur une volonté de rapprocher la pratique de la Ve République d’un régime parlementaire ; elle s’inscrit donc dans l’optique de parlementariser le régime. Dans le cadre d’un véritable régime parlementaire, il appartient au Premier ministre de déterminer la politique de la Nation or, la défense nationale n’est qu’une politique de la Nation parmi d’autres. Pour ce faire, il doit donc disposer et présider les conseils et comités compétents en matière de défense nationale (un parallèle peut être conduit avec la logique voulant que le Premier ministre préside le conseil des ministres). De plus, un tel transfert se justifie par le fait que les décisions en matière de défense nationale peuvent (et doivent) faire l’objet d’un contrôle parlementaire dans le cadre de l’article 35 (il y a d’ailleurs une proposition de Didier Maus visant rendre ce contrôle plus régulier). Ce même article dispose que « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention » : sa décision et non celle du Président de la République. Pour prendre sa décision, le Gouvernement et son Premier ministre doivent pouvoir s’appuyer sur la présidence des conseils et comités. In fine, la logique du régime parlementaire est de rendre envisageable un contrôle, par le Parlement, des décisions prises par le Gouvernement en matière de défense nationale pouvant éventuellement conduire à la mise en jeu de sa responsabilité politique. Le but de cette proposition est donc d’écarter le Président de la détermination de la politique de défense nationale de la France et ainsi de rétablir un lien entre une décision de l’exécutif et un contrôle parlementaire pouvant déboucher sur la mise en œuvre de la responsabilité politique du Premier ministre et de son Gouvernement.
Article 15
Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale.
Article 15
Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale.
Article 21
Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.
Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres.
Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l’article 15.
Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d’un conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.
Article 21
Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.
Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres.
Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l’article 15.
Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d’un conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.