1. Les dysfonctionnements consécutifs à l’élection au SUD
En 1962, l’introduction de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct a entraîné une remise en cause décisive de la lecture parlementaire de la Constitution du 4 octobre 1958. Par la légitimité politique accrue accordée au Président, la captation présidentielle des ressorts du gouvernement parlementaire est manifestement accentuée. Pourtant, le Président demeure en grande partie irresponsable. Autrement dit, pendant toute la durée du mandat, le Président de la République n’a pas de compte à rendre (« qu’ils viennent me chercher » suivant la formule d’Emmanuel Macron[1]) et sa responsabilité ne peut être que très difficilement engagée dans le cadre de l’article 68 de la Constitution.
Cette élection du Président au suffrage universel direct a donc participé à ce que le Président occupe deux fonctions contradictoires. Il conserve ses pouvoirs d’arbitre, tout en étant devenu un participant du jeu politique, voire le joueur central de ce jeu.
- Le rôle d’arbitre confié au chef de l’État par l’article 5 de la Constitution implique qu’il soit en retrait du jeu partisan, qu’il conserve une certaine hauteur, afin d’être en mesure de trancher les conflits qui pourraient apparaître entre les pouvoirs constitués. C’est ainsi que se conçoit et se pratique le rôle du chef de l’État dans la plupart des démocraties d’Europe occidentale. D’ailleurs, le Président dispose du droit de dissolution de l’Assemblée nationale comme un moyen de trancher ce type de conflit. Dans le même sens, l’article 5 de la Constitution fait de lui le gardien des institutions de la Ve République.
- La captation présidentielle, du régime a créé un paradoxe. Le Président apparaît comme le véritable leader politique ; leader du parti politique au pouvoir. En conséquence, il est donc de plein pied dans le jeu politique partisan : parce qu’il est élu à l’issue d’une campagne politique et partisane qui, au demeurant, a lieu avant les élections législatives.
L’élection du Président au suffrage universel direct a donc participé à créer un déséquilibre institutionnel : un régime parlementaire avec une primauté présidentielle. Le Président domine l’exécutif qui, lui-même, domine le législatif. Si l’élection au suffrage universel direct n’est sûrement pas le seul élément qui explique cette présidentialisation, elle y participe manifestement. Ainsi, la suppression du suffrage universel direct apparaît comme un préalable indispensable pour rendre à la Ve République sa caractéristique première : celle d’un régime parlementaire. Certes, il existe, en Europe, des régimes véritablement parlementaires avec une élection du Président au suffrage universel direct. Toutefois, la présidentialisation a tellement imprégné le fonctionnement de la Ve République que la fin de ce mode d’élection est un préalable nécessaire pour que le Président retrouve sa place de gardien au-dessus de la mêlée politique et que le Gouvernement détermine véritablement la politique de la Nation, conformément à l’article 20 de la Constitution. Au demeurant, ce changement de mode l’élection permettrait de mettre fin à la continuité élection présidentielle/élection législative faisant de la dernière le troisième tour de l’élection présidentielle.
Enfin, même si une nouvelle période de cohabitation devait voir le jour, le Président conserverait une certaine légitimité justifiant le maintien, contra constitutionnel, d’un domaine réservé en matière de défense nationale et d’affaires étrangères.
2. Le remède : la proposition
La présente proposition repose sur la volonté de revenir aux fondements de l’esprit de la Constitution tel qu’avancé par Michel Debré le 27 août 1958 devant le Conseil d’État. Comme le disait déjà le Doyen Vedel en 1964, « soutenir qu’un texte a toutes les vertus sauf d’être appliqué est un refuge assez abstrait »[2]. En conséquence, l’octroi de compétences nouvelles aux autres organes ne peut suffire à mettre fin à la captation présidentielle. Il faut s’attaquer à la cause première de cette captation : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
L’objectif est donc de revenir au système de l’élection au suffrage universel indirect pour l’élection du Président de la République. La diminution de la légitimité du Président est un préalable à la diminution de son influence sur le système parlementaire de la Ve République.
Si l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel indirect peut apparaître comme un recul démocratique, celle-ci est compensée par l’instauration de procédés de démocratie directe ou indirecte, à même d’offrir de véritables outils permettant aux citoyens de réellement participer à la prise de décision politique (initiative civique, commissions délibératives parlementaires, etc.).
3. Les effets escomptés et leur justification
La modification de la Constitution proposée vise principalement à réduire la légitimité du Président de la République. Le retour à une élection au suffrage universel indirect a pour objectif de limiter la captation présidentielle des compétences de l’exécutif et de redonner au Gouvernement toute sa place dans un régime parlementaire. Le Premier ministre ne doit plus être le « collaborateur » du Président de la République, mais véritablement celui qui, avec son Gouvernement, « détermine et conduit la politique de la Nation », suivant l’article 20 de la Constitution. Inversement, le Président doit revenir à un rôle plus neutre politiquement, il doit s’effacer de la gestion quotidienne de la politique de la Nation. Par là-même, le retour au septennat doit permettre de découpler le temps du mandat des députés du temps présidentiel.
Il s’agit donc de revenir à la conception originelle de la Constitution : le président est la « clé de voûte », celui qui permet de maintenir l’équilibre entre deux forces antagonistes et qui, en cas de crise, est en capacité de trancher. Il n’a pas vocation à diriger l’action du gouvernement et à en définir le programme : au sens de l’article 20 de la Constitution, c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation.
[1] M. Rescan et A. de Villaines, « Macron sort de son silence », LeMonde.fr, 24 juill. 2018.
[2] G. Vedel, « Vers le régime présidentiel ? », Revue française de science politique, 14e année, n°1, 1964, p. 20-32.
Article 6
Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique.
Article 6
Le Président de la République est élu pour sept ans par un collège électoral comprenant les membres du Parlement et un nombre égal à celui des parlementaires émanant de représentants des régions, des départements, des communes et des collectivités d’outre-mer. Le nombre de représentants de chacune des collectivités territoriales représentées est proportionné à la représentation démographique de chaque territoire. Une représentation équilibrée de chacune des catégories de collectivité est garantie.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique.