Urne ok

Renforcer la légitimité du Sénat

— PROPOSITION SUR LE LIVRE II DU CODE ÉLECTORAL —

Rédacteur(s)

DEROSIER Jean-Philippe

Proposition(s)

IV. Les règles électorales

26. Refonte de la désignation des sénateurs

Révision de la loi organique pour qu’une partie des sénateurs soit élue par le conseil de la collectivité qu’ils représentent et que l’autre partie soit élue par les membres des conseils municipaux.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

Le Sénat est indispensable à l’équilibre des pouvoirs de la Ve République. La forte centralisation administrative et politique du régime, héritage du jacobinisme pour l’une et résultat du fait majoritaire pour l’autre, commande qu’une seconde assemblée parlementaire, représentant les collectivités territoriales, soit à même de limiter la politique majoritaire, sans pour autant l’entraver. Le Sénat est ainsi un contrepouvoir nécessaire.

En revanche, il souffre lui-même d’un problème démocratique, qualifié autrefois « d’anomalie »[1] : depuis 1958, date de naissance de la Ve République et de renaissance du Sénat, il n’a jamais connu l’alternance[2]. S’il n’est pas une chambre dogmatique, parce qu’il n’y existe pas de fait majoritaire, cette orientation systématique nuit à sa légitimité. La raison est simple et, si rien n’est fait, rien ne changera.

Le Sénat est aujourd’hui élu par un collège électoral composé à plus de 95% de délégués municipaux, donc issus des communes, qu’il s’agisse du seul maire, de quelques conseillers municipaux ou de l’ensemble du conseil municipal[3]. Dans les plus grandes communes, qui comptent plus de 30 000 habitants, des délégués municipaux supplémentaires sont désignés, à raison d’un délégué pour 800 habitants.

En France, les communes peu peuplées sont nettement majoritaires. Plus de la moitié des communes comptent moins de 500 habitants, environ 29 000 comptent moins de 2 000 habitants et seul 1% des communes comptent plus de 30 000 habitants. Mais ces dernières correspondent à 35% de la population française. La conséquence sur les élections sénatoriales est que les petites communes (de moins de 9 000 habitants) représentent plus des deux tiers du collège électoral sénatorial, alors qu’elles correspondent à moins de la moitié de la population. Or ces petites communes sont essentiellement présentes dans un milieu rural, à tendance plutôt conservatrice, si bien que, mécaniquement, le collègue électoral sénatorial est très majoritairement composé de délégués municipaux d’une affinité politique de centre droit.

2. Le remède : la proposition

Pour y remédier, afin de préserver le Sénat en faisant taire les critiques, il est nécessaire de faire évoluer son mode de désignation, même en profondeur, pour en faire une institution représentant effectivement les collectivités territoriales, à partir de leur organe délibérant.

On compte dix-huit régions, dont cinq d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et Réunion) et cinq collectivités d’outre-mer (Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna), auxquelles il faut ajouter encore la Nouvelle-Calédonie, soit vingt-quatre collectivités de rang régional ou similaire. S’il existe 101 départements, il n’y a que quatre vingt-quatorze collectivités car la Guyane, la Martinique et Mayotte ont opté pour l’assemblée territoriale unique (avec la région), le Haut-Rhin et le Bas-Rhin ont fusionné au sein de la Collectivité européenne d’Alsace, la Haute-Corse et la Corse du Sud se sont fondues dans la Collectivité de Corse et Paris n’a qu’un conseil, cumulant les statuts de ville et de département. Il faut encore ajouter la Métropole de Lyon. Enfin, quarante-deux communes comptent plus de 100 000 habitants. On peut ainsi identifier une série de 161 collectivités au total.

On propose d’élire le Sénat selon deux types de désignation (comme c’est en réalité le cas aujourd’hui, puisque certains sénateurs sont élus au scrutin majoritaire, d’autres au scrutin proportionnel). Une première série de sénateurs représenteraient les régions, les départements et les grandes villes (de plus de 100 000 habitants), à raison d’un sénateur pour chacune de ces collectivités. Il y en aurait donc 161. Ils seraient élus par et parmi le conseil de la collectivité (suffrage indirect) et auraient rang, de droit, de vice président ou d’adjoint, en charge de représenter la collectivité au Sénat. Élus au lendemain des élections locales, ils renouvelleraient le Sénat pour moitié à la moitié des mandats présidentiel et législatifs, si l’ensemble des scrutins locaux étaient regroupés en un seul instant.

La deuxième série de sénateurs serait élue dans chacune des régions ou collectivités d’outre-mer, par les membres des conseils municipaux. Les communes de chacune de ces régions seraient réparties en trois groupes : celles de moins de 1 000 habitants, celles de 1 000 à 9 999 habitants et celles de 10 000 à 100 000 habitants. Les membres des conseils municipaux de chacun de ces trois groupes de communes éliraient respectivement un, deux et quatre sénateurs, ce qui ferait sept sénateurs par collectivité régionale, soit un total de 168 sénateurs élus dans la deuxième série.

Il y aurait ainsi 329 sénateurs, auxquels s’ajouteraient 12 sénateurs représentant les Français de l’étranger, portant le total à 341, soit un léger recul par rapport au nombre actuel (348).

3. Les effets escomptés et leur justification

Le Sénat continuerait de représenter les populations des collectivités territoriales, mais en offrant une représentativité moins importante aux petites communes, les électeurs issus de ces dernières ne désignant plus que 72 sénateurs sur les 341. De plus, le lien avec les collectivités territoriales serait renforcé, puisque la moitié des sénateurs seraient directement issus des assemblées délibérantes de certaines collectivités et continueraient d’y siéger. Par ailleurs, leur légitimité serait également plus directe car il serait possible d’identifier, lors des élections locales, qui serait appelé, en cas de victoire, à siéger au Sénat (comme c’est le cas du Maire ou du Président, identifié dès l’élection).

La légitimité de l’ensemble du Sénat et son lien avec toutes les collectivités territoriales en ressortira elle même renforcée, d’autant plus que l’alternance y sera plus aisé, confortant le caractère démocratique de cette assemblée parlementaire.

[1] Le mot est de Lionel Jospin, alors Premier ministre, dans une interview au journal Le Monde, le 21 avril 1998 : « Si on y réfléchit bien, et sans passion, une chambre comme le Sénat avec autant de pouvoirs, où l’alternance n’est jamais possible, qui n’est pas élue au suffrage universel direct et qui n’a même pas la caractéristique d’être une chambre fédérale puisque nous sommes un État unitaire, c’est une anomalie parmi les démocraties. Je la perçois comme une survivance des chambres hautes conservatrices. »

[2] Certes, en 2011, un président issu des bancs socialistes a pu être élu au Plateau, mais le premier groupe majoritaire était encore le groupe de droite, aujourd’hui Les Républicains. Ainsi, ce groupe règne en maître sur cette assemblée depuis plus de 60 ans.

[3] Article L. 284 du code électoral.