1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Introduite à l’article 11 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la procédure dite du « référendum d’initiative partagée » est inspirée de la proposition, émise par le Comité Balladur en 2007 (et reprise au Comité Vedel de 1993) d’ouvrir un « droit d’initiative populaire » tendant à associer plus régulièrement les citoyens à l’exercice de la fonction législative.
Si les bornes introduites en 2008 à la mise en œuvre de cette procédure pouvaient se justifier par le double souci d’éviter toute instrumentalisation du mécanisme et de ne pas court-circuiter la représentation parlementaire à un moment où l’ambition du pouvoir de révision était au contraire d’en revaloriser le rôle, force est de constater que les obstacles conçus à l’époque, non seulement ont éloigné cette procédure de l’initiative populaire dont elle s’inspirait, mais lui ont en outre conféré un caractère fortement dissuasif. Trois verrous contribuent à rendre cette possibilité largement illusoire :
- D’une part, le fait que l’initiative doive nécessairement émaner de membres du Parlement avant d’être soutenue par les électeurs. Si le Comité Balladur et les parlementaires qui ont soutenu cette disposition en 2008 pensait que cela n’empêcherait pas les citoyens, par voie de pétition, de s’approprier cette procédure, la pratique démontre plutôt que ce sont principalement les partis d’opposition qui en font usage, la plupart du temps pour contrer un texte adopté par la majorité avant que celui-ci ne soit promulgué, de manière à transporter vers les urnes un débat qu’ils n’étaient pas numériquement en mesure d’emporter.
- D’autre part, le seuil des soutiens requis par la Constitution de la part des électeurs, actuellement d’un dixième du corps électoral (soit environ 4 millions de signatures). Ce seuil est excessivement haut compte tenu du fait que, s’il est franchi, le succès de l’initiative ne donne pas lieu à une authentique consultation référendaire mais permet seulement que le texte soit débattu au Parlement.
- Enfin, le fait que, une fois ces obstacles franchis, la proposition de loi ne puisse être soumise au référendum que si elle n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai de 6 mois (fixé par la loi organique du 6 décembre 2013). Il suffirait ainsi, comme le suggérait le rapport Balladur, qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour et fasse l’objet d’un début d’examen (sans que celui-ci doive nécessairement aller à son terme) pour que la voie référendaire soit écartée.
Compte tenu de l’efficacité du filtre que représente le contrôle opéré en amont par le Conseil constitutionnel, et dans le souci de rendre cette procédure plus accessible, il est proposé de lever ces trois verrous.
2. Le remède : la proposition
L’objet de la proposition est de rapprocher le RIP d’un authentique référendum d’initiative populaire, sans pour autant court-circuiter le rôle dévolu à la représentation parlementaire, l’idée étant que les deux modalités d’expression de la souveraineté nationale (directe et indirecte) doivent rester complémentaires, conformément à l’article 3 de la Constitution.
À cette fin, il est proposé :
1°) De prévoir une alternative à l’initiative parlementaire en ouvrant une initiative électorale : la procédure pourrait ainsi être engagée, soit à l’initiative d’un certain nombre de parlementaires soutenue par un certain nombre d’électeurs, soit à l’initiative d’un certain nombre d’électeurs soutenue par un certain nombre de parlementaires.
2°) D’abaisser à un million d’électeurs le seuil des soutiens aujourd’hui fixé à un dixième du corps électoral. Il n’est pas proposé de réduire le seuil de soutiens parlementaires, qui est actuellement d’un cinquième des membres du Parlement, la pratique des dernières années ayant démontré qu’il peut facilement être atteint.
3°) Rapprocher le mécanisme d’un authentique référendum en facilitant la consultation des électeurs dès lors que la proposition remplit les conditions requises aux al. 1er (champ matériel), 3 (seuils), et après contrôle du Conseil constitutionnel (al. 4). L’idée est que la proposition de loi soit soumise au référendum non plus à défaut d’ « examen » par les Chambres, mais à défaut d’adoption ou de rejet définitif du texte.
3. Les effets escomptés et leur justification
1°) L’ouverture d’une véritable initiative électorale en parallèle de l’initiative parlementaire, outre le souci de rapprocher le RIP des citoyens et de les inciter à s’en saisir pour associer plus régulièrement la société au travail législatif, présenterait également le mérite de ne pas laisser ce mécanisme aux mains des seuls partis, qui l’emploient souvent comme une forme de démission de leur fonction de représentation lorsqu’ils ne disposent pas d’une majorité suffisante pour l’emporter au sein de l’une des deux Chambres. Dans le même temps, le fait que l’initiative – qu’elle émane en premier lieu des électeurs ou des parlementaires – soit toujours conjointe, permet de préserver la complémentarité et le dialogue nécessaire entre les deux formes d’expression de la souveraineté. Cela nécessiterait en revanche de préciser, dans la loi organique, les conditions formelles et matérielles de présentation de cette initiative électorale.
2°) L’abaissement du seuil applicable aux soutiens électoraux permettrait de rendre la procédure moins dissuasive et d’inciter, là aussi, les électeurs à s’en saisir. Elle ne paraît pas à redouter : d’une part, le recueil du nombre requis de soutiens ne vaut pas adoption du texte mais signale simplement que celui-ci suscite l’intérêt d’une part significative de l’électorat et mérite par conséquent d’être examiné ; d’autre part, le filtre du Conseil constitutionnel en amont, puis la phase parlementaire en aval, semblent suffire à écarter tout risque sérieux d’instrumentalisation.
3°) Le fait de ne plus conditionner la consultation référendaire à un simple défaut d’examen mais à un défaut d’adoption ou de rejet par le Parlement présente deux intérêts : d’une part, éviter que, en n’adoptant pas une motion de renvoi en commission et en inscrivant le texte à l’ordre du jour sans intention sérieuse de l’examiner, l’une des deux Chambres ne fasse échec à une proposition dont la soumission au référendum est soutenue par une part significative de l’électorat comme du personnel parlementaire ; de l’autre, placer les Chambres face à leurs responsabilités en les incitant, si elles ne souhaitent pas passer par le référendum, soit à s’approprier le texte en l’adoptant (auquel cas les auteurs de l’initiative auront eu, au moins sur le principe, gain de cause), soit à le rejeter selon les formes et au terme d’un véritable débat. En pareil cas, les Chambres devraient l’examiner prioritairement. Dans l’hypothèse où le texte, inscrit à l’ordre du jour, n’aurait été ni définitivement adopté ni définitivement rejeté au terme du délai de 6 mois, le Parlement en serait dessaisi en vue de sa soumission, par le Président, au référendum.
Article 11
Alinéas précédents sans modifications
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Article 11 (ou 11-1)
Alinéas précédents sans modifications
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé soit à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un million des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit à l’initiative d’un million des électeurs inscrits sur les listes électorales, soutenue par un cinquième des membres du Parlement.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été adoptée ou rejetée par le Parlement dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.