1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Les organes représentant les corps professionnels n’ont jamais véritablement trouvé leur place au sein des institutions françaises depuis qu’il a été tenté de les refonder, à partir du début du XXe siècle : Conseil national économique sous la IIIe République, Conseil économique sous la IVe, Conseil économique et social, devenu environnemental sous la Ve. Une réforme a bien été proposée, entraînant sa mutation, dès 2008 (achevée en 2020), pour en faire le « carrefour des consultations publiques » et « l’institution de référence en matière de participation citoyenne ». Il reste qu’il ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son ambition.
Le CESE semble en effet souffrir de nombreux maux : méconnu, onéreux, marginalisé, voire illégitime, celui-ci fait l’objet de nombreuses et vives critiques. La première difficulté est sans doute celle relative à l’identification de sa nature : il n’est pas une chambre parlementaire et est trop concurrencé pour s’imposer en tant que chambre consultative, ce malgré son statut « confortable » d’institution constitutionnellement consacrée (concurrencé notamment par le Conseil d’État, mais aussi par les multiples organes consultatifs permanents ou ad hoc – voir par ex. le Conseil national de la refondation), si bien qu’il fonctionne principalement par auto-saisine. Par ailleurs, si les raisons ayant présidé à sa création étaient légitimes (assurer la représentation des corps professionnels), la nouvelle vocation du CESE (chambre de la participation des citoyens) entre en contradiction avec celle du Parlement, en particulier de l’Assemblée nationale (véritable chambre de représentation des citoyens). C’est sans doute ce qui explique que les pouvoirs publics sont réticents, à juste titre, à confier de véritables pouvoirs au CESE, notamment en matière d’initiative législative. En outre, et malgré son existence constitutionnelle, le CESE demeure une institution peu connue, dont la portée des travaux apparaît particulièrement réduite : qu’il s’agisse des récentes conventions citoyennes organisées en son sein ou des pétitions en ligne sur son site internet, les citoyens comme les élus ne semblent pas y porter d’intérêt manifeste. Il est donc parfaitement inefficace.
La réforme n’a pas permis d’améliorer la place du CESE : tant son activité de conseil que celle de forum de la participation civique ne sont pas visibles. Par ailleurs, à supposer même que ces mécanismes soient, à l’avenir, plus sollicités, il n’est pas dit que cela soit très efficace pour rendre le CESE plus légitime : ils ne permettent pas, en effet, l’expression d’un quelconque pouvoir de sa part, que personne ne veut d’ailleurs qu’il exerce. Ce faisant, l’institution est incapable de se muer en ce « forum de la République » dont parle (sans vraiment y croire) le président de la République.
Face à ces carences, il peut être utile de rappeler que le CESE bénéficie d’un budget important, en constante hausse depuis quelques années (environ 40 millions d’euros), pour une activité relativement faible, même si celle-ci croît aussi.
2. Le remède : la proposition
La proposition est assez simple de prime abord, puisqu’elle consiste à supprimer le titre XI de la Constitution et ses trois articles 69, 70 et 71.
Nous nous sommes interrogés sur la nécessite de le remplacer par une institution plus adaptée, la question étant de savoir ce qui est recherché. L’idée d’en faire une assemblée civique permanente est souvent évoquée, mais elle nous semble en contradiction avec la représentation parlementaire et devrait donc nécessairement s’articuler avec une réforme plus générale du régime représentatif français.
Une autre piste peut être explorée, celle de la reconfiguration parallèle de la composition du Sénat, à la manière dont elle avait été conçue par le général de Gaulle (sans pour autant reprendre son projet qui ne faisait du Sénat qu’une chambre subsidiaire). Il semble à ce titre important d’avoir un débat sur la nécessité de disposer d’une représentation des corps professionnels, au même niveau que les collectivités territoriales, dans le prolongement des propositions qui avaient pu être faites par Duguit, etc., prônant une meilleure représentation des individus regroupés socialement. Pour une proposition concrète nous renvoyons à la réflexion de Xavier Magnon sur la question.
3. Les effets escomptés
Dans la mesure où, malgré plusieurs décennies d’existence, le CESE n’a réussi ni à trouver sa place ni à démontrer son utilité dans le schéma institutionnel français, nous pensons qu’il convient d’en tirer les conséquences en le supprimant. Cela permettra de faire des économies, mais surtout de clarifier le schéma institutionnel.
Une telle clarification nous paraît en effet nécessaire au développement d’une dimension consultative et participative de la démocratie, que cette dimension se concrétise en une instance citoyenne unique plus puissante, plus efficace et mieux intégrée que l’actuel CESE, ou qu’elle prenne la forme d’une représentation des corps professionnels au sein du Sénat. Elle permettrait donc de clarifier le schéma institutionnel actuel, en revalorisant, au passage, le Parlement.