procedure legislative ok

Organiser le Temps législatif programmé

— PROPOSITION SUR LES ARTICLES 44 C ET 49 RAN —

Organisation de la discussion sous l’empire du temps législatif programmé

Rédacteur(s)

DE MONTIS Audrey

GEYNET-DUSSAUZE Chloë

Proposition(s)

VIII. La procédure législative

59. Organiser le Temps législatif programmé

Révision de l’article 44 et du Règlement de l’Assemblée nationale pour mieux organiser le TLP.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

Le temps législatif programmé (TLP) est un procédé spécifique d’organisation de la discussion législative qui est consacré à l’Assemblée nationale depuis 2009. Il consiste en la fixation d’un volume maximal de discussion pour étudier un projet ou une proposition de loi, réparti ensuite de façon précise entre les groupes. Un temps minimum est d’abord attribué à chaque groupe (mais il est cependant supérieur pour ceux qui appartiennent à l’opposition) ; puis, un temps supplémentaire leur est distribué en fonction de leur importance numérique, en respectant une grille spécifique (60% pour l’opposition, 40% pour la majorité). Disposant chacun de leur forfait, ils peuvent librement le dépenser durant les séances publiques consacrées à cet effet, sans être contraints par les encadrements classiques. Lorsque les compteurs sont épuisés, les parlementaires concernés ne peuvent plus reprendre la parole durant le reste de l’examen du texte. Les groupes sont donc libres de dépenser leur volume global sur un ou plusieurs articles en particulier et/ou sur une séquence de la discussion législative de leur choix. En application de ce dispositif, le président de séance est davantage en retrait que dans le cadre d’une discussion classique car il n’a plus à faire respecter un temps de parole précis et rigoureux (la plupart du temps, 2 minutes sur chacune des séquences d’une discussion législative : prise de parole sur article, présentation d’un amendement…). 

Ce procédé a été pensé à l’époque comme une réponse adaptée aux dysfonctionnements du travail législatif parlementaire, à savoir un ordre du jour saturé, un temps de séance en augmentation continue, un nombre d’amendements significativement élevé et, précisément, un développement du phénomène d’obstruction parlementaire qu’il est malaisé d’endiguer de manière proportionnée. Le TLP était aussi envisagé comme une solution adéquate pour mieux programmer, prévoir et anticiper le déroulement d’une discussion, pour l’ensemble des acteurs. Enfin, le dispositif devait conduire à l’amélioration de la qualité d’un débat et celle de la loi[1].  

Dans les faits, après plusieurs années d’application (plus d’une cinquantaine de textes a été discutée sous l’empire du dispositif), les effets du TLP ont été nuancés. La physionomie d’une discussion législative a été, dans l’ensemble, préservée, les parlementaires continuant de centrer principalement leur attention sur la discussion des articles et des amendements. Toutefois, la durée de la phase générale de la discussion législative a tout de même été considérablement plus longue que dans le cadre d’un procédé plus classique d’organisation, ce qui a pu affecter le dynamisme et l’interactivité de la discussion dans son ensemble. Le présentéisme des députés n’a pas pu être amélioré, ces derniers ayant encore plus de difficulté qu’avant, à anticiper leurs interventions en hémicycle. Cependant, le TLP, qui a surtout été mis en œuvre pour lutter contre l’obstruction parlementaire, a pu produire, un temps, des effets plus directs pour canaliser ce phénomène. En effet, à plusieurs reprises, des parlementaires ont pu être privés de leur droit de s’exprimer, en raison de l’épuisement de leur volume global. Les amendements qui ont pu alors rester en discussion ont été simplement mis aux voix sans présentation par leur auteur, rendant inintéressant et inefficace le dépôt d’amendements sériels. In fine, même dans ce cas de figure, l’effet recherché a produit un effet paradoxal, puisque le temps de parole du Gouvernement, qui échappe, lui, à tout encadrement a pu conduire à un accroissement considérable du temps de séance consacré à l’examen du texte législatif. En effet, un ministre demeure libre de prendre régulièrement la parole, pour de longues durées au cours d’une discussion organisée sous l’empire du TLP, ce qui peut directement conduire d’une part, à complexifier la capacité de prévoir la date de fin du débat ainsi que, d’autre part, à contenir la durée globale des séances publiques, comme ce fut le cas en 2015 lors de la discussion de la loi dite Macron (alors que le temps alloué était de 50 h, les groupes ont usé de 48h37 et le temps global de séance s’est élevé à 111h24). Aussi, depuis cette date, il n’a plus vraiment été utilisé et est tombé en désuétude[2]

En résumé, deux constats relativement pessimistes doivent être faits et motivent cette proposition : d’une part, le TLP entraîne davantage une désorganisation de la séance qu’une structuration de celle-ci. À plusieurs reprises, le TLP a aggravé l’incertitude de la procédure parlementaire plus qu’il ne l’a disciplinée. Un temps programmé plus structuré paraît donc nécessaire. D’autre part, contrairement au succès annoncé de ce procédé en 2008, ce dernier n’est plus mobilisé. Il s’agit donc de le redynamiser.

2. Le remède : la proposition

Il s’agirait de redynamiser la procédure du TLP en lui apportant quelques correctifs. L’idée principale qui motive cette proposition est de pouvoir offrir aux députés un mode alternatif d’organisation de la discussion qui leur apporterait davantage de souplesse en comparaison du régime de discussion actuel. Actuellement, le procédé classique, qui conduit à impartir un volume de 5 à 10 minutes par groupe lors de la discussion générale, de limiter à 2 minutes la plupart des interventions et de limiter le nombre d’orateurs est relativement enserrant. Ainsi, toujours afin d’apporter plus de liberté aux orateurs de la discussion mais sans affecter la qualité des délibérations (pour éviter la répétition ?) en faisant se succéder des dizaines de députés à la tribune, il est proposé, tout en permettant à chaque groupe d’utiliser à l’envi leur volume de discussion, de limiter le temps consacré à la discussion générale. Désormais, ils ne pourraient pas consacrer plus de -20% ou -30% de leur volume total à la discussion générale. Si ce chiffre est nécessairement discrétionnaire et peut être débattu, l’objectif serait de s’assurer que l’intégralité des propos d’un groupe ne se focalise pas sur la discussion générale. 

Mais encore et surtout, la proposition principale résiderait dans la fixation au Gouvernement d’un volume global de temps de parole, afin de renforcer la programmation de la discussion dans son ensemble.  Cela reviendrait finalement à restaurer le temps global qui avait été consacré au début de la Ve République et qui permettait d’impartir un volume de temps aux interventions du Gouvernement. Une loi organique pourrait être adoptée à cette fin, et l’article 44 C. pourrait faire l’objet d’un nouvel alinéa. 

Enfin, il est également proposé l’interdiction du cumul entre la procédure accélérée et le TLP (au sein d’une loi organique). Actuellement, la Constitution prévoit un délai minimal de six semaines entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance. Ces délais ne s’appliquent pas dans certains cas, y compris lorsque le Gouvernement décide d’engager la procédure accélérée (dans ce cas, un délai minimal de quinze jours est maintenu pour les seuls projets et propositions de loi organique). Le fait de pouvoir additionner deux moyens coercitifs à l’encontre du déroulement classique de la délibération parlementaire paraît excessif. À partir du moment où le Gouvernement décide de fixer une durée à la discussion, son accélération en parallèle constitue une contrainte trop importante sur le Parlement.

3. Les effets escomptés et leur justification

Les effets escomptés sont assez nombreux. Sans nier l’intérêt de discussions ordonnées et contraintes temporellement, il s’agirait là plutôt de proposer à l’ensemble des acteurs une alternative. Les députés pourraient ainsi retrouver une certaine liberté, une fluidité dans leurs discussions, lesquelles, ces dernières années, ont été de plus en plus rationalisées. Pour le Gouvernement, le gain est également aisément perceptible car s’il accepte de voir son temps de parole limité, il renforce dans le même temps sa capacité de programmer et de prévoir l’ordre du jour. 

La modification de l’article 44 C., qui conduirait à l’adoption d’une loi organique, permettrait également d’ouvrir la voie à une réflexion plus générale de la limitation du temps de parole du Gouvernement qui pourrait être envisagée comme l’une des clés du rééquilibrage entre les parlementaires et les ministres au cours d’une discussion législative. 

[1] Des garanties sont prévues : par exemple, le fait qu’il existe une durée minimale plancher, en dessous de laquelle aucune discussion législative ne saurait être organisée si un président de groupe en fait la demande. Par ailleurs, une fois par session, chaque président de groupe peut obtenir l’application d’une durée maximale pour discuter plus longuement d’un texte auquel il est attaché. Enfin, lorsque le texte venant en discussion est inscrit à l’ordre du jour moins de six semaines après son dépôt, il n’est pas possible de mettre en œuvre le dispositif.

[2] En 2019, la révision du Règlement de l’Assemblée nationale a entraîné une légère modification de ce dispositif pour le rendre plus attrayant. La faculté, pour un président de groupe, de rétrocéder à un député de son groupe la moitié du temps personnel dont il dispose a été consacrée, mais également un droit de tirage supplémentaire permettant à un président de groupe, une fois par session, de demander un allongement exceptionnel du temps attribué à son groupe. Néanmoins, cela n’a pas emporté les effets escomptés et le TLP demeure « boudé ».

Article 44

Alinéas précédents sans modifications

Article 44, al. 4

Alinéas précédents sans modifications

Selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique, la prise de parole du Gouvernement dans une discussion législative peut être organisée. 

Article 49, al. 7 RAN

Al. 7 – Un temps minimum est attribué à chaque groupe, ce temps étant supérieur pour les groupes d’opposition. Le temps supplémentaire est attribué à 60 % aux groupes d’opposition et réparti entre eux en proportion de leur importance numérique. Le reste du temps supplémentaire est réparti entre les autres groupes en proportion de leur importance numérique. La conférence fixe également le temps de parole réservé aux députés non inscrits, lesquels doivent disposer d’un temps global au moins proportionnel à leur nombre.

 

Article 49 RAN

Al. 7 – Un temps minimum est attribué à chaque groupe, ce temps étant supérieur pour les groupes d’opposition. Le temps supplémentaire est attribué à 60 % aux groupes d’opposition et réparti entre eux en proportion de leur importance numérique. Le reste du temps supplémentaire est réparti entre les autres groupes en proportion de leur importance numérique. La conférence fixe également le temps de parole réservé aux députés non inscrits, lesquels doivent disposer d’un temps global au moins proportionnel à leur nombre. Elle fixe enfin le temps de parole réservée aux membres du Gouvernement, dans les conditions prévues à l’article 44, al. 4 de la Constitution et dans le cadre déterminé par une loi organique.

Al. 8 – Chaque groupe ne peut consacrer plus de 20-30% de son volume global imparti à la discussion générale du texte.