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La création de lois cadres de soutenabilité des finances publiques

— PROPOSITION SUR LES ARTICLES 34, 39, 46-1 NOUVEAU ET 70 —

Rédacteur(s)

MOYSAN-JEANNARD Émilie

Proposition(s)

X. Les compétences du Parlement

81. Créer des lois cadres de soutenabilité des finances publiques

Révision des articles 34, 39, 70 et création d’un nouvel article 46-1 pour remplacer les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques par des lois-cadres de soutenabilité des finances publiques, qui s’imposeraient aux lois de finances.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

Comme tout autre acte de nature législative, les lois de finances, au sens large, se doivent de respecter les normes qui leur sont supérieures, notamment les règles de valeur constitutionnelle. Toutefois, parmi celles-ci, il n’existe pas de normes visant à limiter les déficits. 

Certes, des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques définissent « les orientations pluriannuelles des finances publiques (…) [et] s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques » (article 34 de la Constitution). 

Toutefois, elles n’ont pas une valeur juridique s’imposant aux lois de finances. Elles « n’ont pas pour effet de porter atteinte à la liberté d’appréciation et d’adaptation que le Gouvernement tient de l’article 20 de la Constitution dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation ; qu’elles n’ont pas davantage pour effet de porter atteinte aux prérogatives du Parlement lors de l’examen et du vote des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou de tout autre projet ou proposition de loi. (…) [Elles] ne [font] pas obstacle à ce que le législateur modifie, au cours de la période de programmation, une loi de programmation des finances publiques ou en adopte une nouvelle qui s’y substitue » (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (considérants 12 et 14). 

En outre, aucune loi de programmation n’a été votée pour la période 2023-2027 et le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant censuré la loi de finances pour 2023. Il a au contraire jugé que l’article liminaire de la loi de finances, qui doit rependre les principaux objectifs de la loi de programmation, a seulement pour but d’améliorer l’information du Parlement (Conseil constitutionnel, décision n° 2022847 DC du 29 décembre 2022, Loi de finances pour 2023, considérant 23). 

Pourtant, l’actualité montre aussi la nécessité de renforcer l’encadrement des lois de finances. 

En premier lieu, le droit de l’Union européenne impose aux États membres de mener une stratégie financière publique vers un assainissement global des comptes publics. C’est le sens du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire qui pose que « la situation budgétaire des administrations publiques (…) [doit être] en équilibre ou en excédent », règle qui est considérée comme respectée « si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l’objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché́ » (article 3). Cette exigence est fréquemment rappelée par la Cour des comptes (V. par exemple, le rapport annuel 2022, p. 44 et s.).

En deuxième lieu, le recours au principe d’équilibre ne permet pas de rétablir les comptes publics. Son sens n’est d’ailleurs pas stabilisé : tantôt budgétaire, tantôt financier, tantôt économique ou même comptable en fonction des textes successifs. Le Parlement est simplement contraint de définir un équilibre budgétaire et financier en première partie de la loi de finances (articles 34 de la LOLF), sous le contrôle du Conseil constitutionnel (V. par exemple 79-110 DC). Au fond, l’équilibre posé par la LOLF est une simple balance des comptes que détermine la loi de finances. Tout ceci explique pourquoi les lois de finances sont votées et exécutées en déficit et l’on connaît l’endettement très important de la France (2278 milliards d’euros en décembre 2022, environ 110% du PIB). La situation est telle que « la France fait partie de ce groupe avec la Belgique, l’Espagne et l’Italie, dont la situation est la plus dégradée » (Rapport précité de la Cour des comptes, p. 44).

2. Le remède : la proposition

La création de lois-cadres de soutenabilité des finances publiques en remplacement des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques, par la modification de l’article 34 de la Constitution (et des autres articles de la Constitution faisant référence aux LPPFP). 

Le recours à la soutenabilité plutôt qu’à l’équilibre relève d’une conception moderne et relativement récente du droit public financier. En la matière, ce terme est apparu à partir de la décennie 2010, en particulier concernant la dette publique avant de s’étendre aux finances publiques, dans le cadre du respect des critères fixés par le TSCG de 2012. Il ne fait pas l’objet d’une définition juridique ; on peut la définir comme Allen Schick, à l’occasion de ses travaux dans le cadre de l’OCDE : la soutenabilité financière comprend la solvabilité des administrations publiques, la stabilité de la croissance économique, la stabilité des impôts et l’équité intergénérationnelle. La loi organique qui en fixerait les conditions pourrait utilement y intégrer également les enjeux environnementaux. Ce lien est d’ailleurs établi par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques lorsqu’elle prône « une trajectoire des finances publiques soutenable et durable ».

Les lois-cadres de soutenabilité des finances publiques conduiraient donc le Parlement à poser des règles dans ces différents domaines et celles-ci seraient contraignantes pour les textes financiers, leur respect serait sanctionné a priori par le Conseil constitutionnel. Les lois-cadres étant contraignantes, il faut les accompagner d’un mécanisme d’adaptabilité au contexte économique, dont les modalités seront prévues par une loi organique.

Enfin, ainsi que le proposait le projet de loi constitutionnelle n° 3253 relatif à l’équilibre des finances publiques, l’idée est que les lois-cadres programment l’évolution de l’ensemble des finances publiques : elles auront donc vocation à traiter des dépenses et des recettes de l’État, de la sécurité sociale, des collectivités territoriales, de l’assurance chômage et des régimes complémentaires de retraite.

3. Les effets escomptés et leur justification

Donner un cadre juridique pour limiter l’endettement, donner un pouvoir de contrôle sur celui-ci au Conseil constitutionnel.

Article 34, al. 21

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.

Article 34, al. 21

Les lois-cadres de soutenabilité des finances publiques déterminent les orientations pluriannuelles des finances publiques, en vue d’assurer la soutenabilité des comptes publics. Une loi organique précise le contenu des lois cadres de soutenabilité des finances publiques, la période minimale qu’elles couvrent, celles de leurs dispositions qui s’imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale et les conditions dans lesquelles elles peuvent être modifiées.

Article 39, al. 2

Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État et déposés sur le bureau de l’une des deux Assemblées. Les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale. Sans préjudice du premier alinéa de l’article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.

Article 39, al. 2

Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État et déposés sur le bureau de l’une des deux Assemblées. Les projets de loi de finances, de loi de financement de la sécurité sociale et les projets de loi-cadre de soutenabilité des finances publiques sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale. Sans préjudice du premier alinéa de l’article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.

NOUVEL ARTICLE

Article 46-1 (nouveau)

Le Parlement vote les projets de loi-cadre de soutenabilité des finances publiques dans les conditions prévues par une loi organique. Si le Gouvernement le décide, il est fait application de la procédure prévue au deuxième alinéa de l’article 47. 

Article 70

Le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. Le Gouvernement peut également le consulter sur les projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques. Tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis pour avis.

Article 70

Le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. Le Gouvernement peut également le consulter sur les projets de loi-cadre de soutenabilité des finances publiques. Tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis pour avis.