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Bénéfice de la QPC à l’auteur et aux instances en cours

— PROPOSITION SUR L’ARTICLE 62, ALINÉA 2 —

Rédacteur(s)

DUCHARME Théo

Proposition(s)

XIII. Le Conseil constitutionnel et la garantie des droits

103. Bénéfice de la QPC à son auteur et aux instances en cours

Révision de l’article 62 pour découpler le report de la date d’abrogation et l’effet utile d’une QPC, afin d’éviter la situation actuelle où la modulation dans le futur de l’abrogation prive presque systématiquement son auteur de son bénéfice.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

Depuis l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à préciser l’application dans le temps de ses décisions. Le principe fixé par l’article 62, alinéa 2 de la Constitution est très peu contraignant pour ce dernier : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Le Conseil a rapidement précisé quels effets peuvent produire les déclarations d’inconstitutionnalité. Par sa décision 2010-108 QPC, il a fixé le principe du double effet utile de sa décision : « en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ». A priori donc, la jurisprudence du Conseil est relativement protectrice des requérants malgré l’effet abrogatif de la QPC qui ne vaut que pour l’avenir. D’ailleurs, le Conseil peut également étendre les effets rétroactifs de ses décisions et donc augmenter la portée de l’effet utile des inconstitutionnalités qu’il prononce (par exemple décision 2010-52 QPC). 

Depuis 2010, le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à se saisir de ses pouvoirs de modulation avec une large préférence pour la modulation dans le futur de la date d’abrogation. Dans cette hypothèse, le Conseil a recours à trois solutions alternatives : supprimer purement et simplement le double effet utile, geler les contentieux en cours avant que la nouvelle loi n’entre en vigueur ou adopter une « réserve transitoire ». Les jurisprudences du Conseil démontrent que c’est la première solution qui est la plus mobilisée. De 2010 à 2018, dans 93% des décisions de modulation, aucun effet utile n’est garanti pour l’auteur de la QPC et dans les instances en cours, sachant que les décisions avec modulation dans le futur de la date d’abrogation correspondent à 40% des hypothèses de déclaration d’inconstitutionnalité en QPC. 

Il y a donc un problème, la QPC demeure parfois, et même souvent, inutile pour les requérants alors que le but de cette procédure était de replacer la Constitution au centre des contentieux. Exception faite des chevaliers blancs du contentieux, principalement les associations, la QPC ne constitue pas une voie de droit utile pour les requérants. Ce constat engendre une situation ubuesque : la jurisprudence du Conseil favorise l’utilité des contrôles de conventionnalité pour lesquels la CJUE et la CEDH ont une jurisprudence très restrictive à propos de la modulation dans le temps des inconventionnalités. 

2. Le remède : la proposition

La proposition tient en une modification de l’article 62, alinéa 2 de la Constitution pour prévoir une limite aux pouvoirs du Conseil constitutionnel en matière de gestion des effets dans le temps de ses décisions. L’objectif de la proposition est de découpler le report de la date d’abrogation et l’effet utile afin d’éviter la situation actuelle où la modulation dans le futur de l’abrogation est presque systématiquement accompagnée d’un effet inutile de la QPC. Or, la jurisprudence administrative, comme celle de la Cour de justice de l’Union européenne, démontre bien que la modulation dans le temps et l’effet utile sont détachables même en présence d’une norme générale et impersonnelle. Il peut y avoir le premier tout en maintenant le second[1]. La proposition n’empêcherait donc pas de moduler dans le futur la date de l’abrogation pour permettre au législateur d’adopter un nouveau texte et donc d’éviter un vide juridique. Celle-ci organise simplement une réserve pour imposer au Conseil de maintenir la rétroactivité procédurale et contentieuse. 

La proposition reprend donc le principe posé par la jurisprudence CE, ass., 11 mai 2004, Association AC ! suivant laquelle « il lui [le juge administratif] revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ». 

Une alternative pourrait être envisagée : prévoir que dans l’hypothèse d’une modulation dans le futur de la date d’abrogation les juges a quo sont dans l’obligation de surseoir à statuer en attendant la nouvelle disposition législative afin de l’appliquer aux litiges pendants. Cette solution est plus complexe à mettre en œuvre, elle a le désavantage d’allonger les délais de jugement et finalement elle ne règle pas l’hypothèse où le législateur n’adopterait pas de nouvelle disposition législative, ce qu’il peut décider de faire. Au surplus, au regard des délais, les requérants auraient intérêt à se tourner vers le moyen d’inconventionnalité renforçant ainsi la concurrence entre les moyens. 

3. Les effets escomptés et leur justification

Les effets escomptés sont particulièrement simples : que les déclarations d’inconstitutionnalité prononcées par le Conseil constitutionnel dans la QPC bénéficient à l’auteur de la QPC ainsi qu’aux instances en cours. Il est difficile de limiter le principe du bénéfice de la QPC au seul auteur de la QPC dans la mesure où plusieurs QPC peuvent avoir été déposées devant différentes juridictions au même moment, mais une seule est transmise au Conseil constitutionnel. Finalement, cette proposition a également pour intérêt de revaloriser la QPC face au contrôle de conventionnalité. En l’état, l’effet inutile des abrogations produirait donc l’objectif inverse de la création d’une exception d’inconstitutionnalité en dénationalisant les droits et libertés fondamentaux.

[1] MAMOUDY O., La modulation dans le temps des effets des décisions de justice en droit français, Thèse, Paris 1 PanthéonSorbonne, 2013

Article 62

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application. 

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Article 62

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application. 

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est, en principe, abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil peut fixer par cette décision une date ultérieure d’abrogation sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci reposant sur la disposition législative contestée. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.