1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Les droits fondamentaux se définissent dans une dimension matérielle comme des droits dont le contenu est particulièrement important, mais aussi dans une dimension formelle comme des droits pourvus d’un haut niveau de protection dans la hiérarchie des normes. De manière logique, les sources des droits fondamentaux sont ainsi les Constitutions des États ou les textes internationaux de protection des droits de l’Homme. En droit de l’Union européenne, les droits fondamentaux ont d’ailleurs été d’abord protégés grâce à une jurisprudence dynamique de la Cour de justice sous la forme de principes généraux du droit, inspirés par les traditions constitutionnelles des États membres d’une part, et des règles internationales protégeant les droits de l’Homme d’autre part, au premier rang desquelles la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH). Le système de protection des droits fondamentaux de l’Union a depuis évolué, et bien que les principes généraux du droit restent une source, l’Union s’est dotée d’une Charte des droits fondamentaux qui codifie et liste les droits et principes fondamentaux partagés par tous ses États membres. Cette Charte a acquis une valeur juridique contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
La multiplication des sources pose la question de leur cohérence et de leur équivalence. Il est en effet légitime de se demander si les droits fondamentaux identifiés par une source sont les mêmes que ceux figurant dans une autre source. Dans l’ordre juridique de l’Union, cette question est en partie réglée par un mécanisme de droits correspondant entre la Charte des droits fondamentaux et la Convention EDH. L’article 52 § 3 de la Charte dispose en effet que « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». Texte pourtant adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Convention EDH fait figure de référence et la disposition précitée doit être lue comme assurant une protection équivalente des droits figurant à la fois dans cette Convention et dans la Charte.
La même question peut néanmoins se poser dans les interactions entre le droit de l’Union et le droit national, et si un droit fondamental constitutionnellement garanti a le même sens et la même portée qu’un droit figurant dans une autre source de protection de l’Union. Cette question redouble d’intérêt dès lors qu’il est admis que l’identité constitutionnelle d’un État doit être respectée par l’Union et qu’il est donc possible d’identifier des principes inhérents à l’identité constitutionnelle d’un État auxquels le droit de l’Union ne peut s’opposer. En France, le Conseil constitutionnel veille au respect des principes inhérents à l’identité constitutionnelle lorsque des dispositions de droit de l’Union sont transposées ou exécutées dans l’ordre juridique national. Lorsque le moyen d’une contradiction de ces dispositions de droit de l’Union importées dans l’ordre juridique national avec un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France est soulevé devant lui, le Conseil constitutionnel aboutit néanmoins souvent à la constatation qu’un tel principe ne peut être identifié dès lors qu’il existe un principe équivalent en droit de l’Union. Pour citer quelques exemples, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a eu l’occasion de dire pour droit que la liberté d’entreprendre qui résulte de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) doit s’entendre de la même manière que la liberté d’entreprendre qui apparaît à l’article 16 de la Charte ; de même que la liberté d’expression de l’article 11 de la DDHC est la même qu’à l’article 11 de la Charte ; ou encore que le principe d’égalité de l’article 6 de la DDHC est le même que celui figurant à l’article 20 de la Charte. En définitive, le Conseil constitutionnel est conduit parfois à reconnaître l’équivalence de la protection de droits et principes qui figurent à la fois dans la Constitution et en droit de l’Union, principalement dans la Charte. Plutôt que de s’en remettre à la jurisprudence, il apparaît cohérent d’inscrire dans la Constitution un mécanisme de droits correspondant entre la Charte des droits fondamentaux et les droits constitutionnellement garantis.
2. Le remède : la proposition
En s’inspirant de la formulation retenue à l’article 52 § 3 de la Charte pour établir la correspondance entre les droits figurant dans cette dernière et ceux figurant dans la Convention EDH, la proposition consiste à introduire un nouvel article dans la Constitution pour proclamer l’attachement de la République à la Charte d’une part, et établir la correspondance entre la Charte et les droits garantis par le bloc de constitutionnalité d’autre part.
Certes, il n’y a pas que la Charte qui est porteuse de droits fondamentaux, et il serait tout à fait envisageable d’établir une correspondance avec d’autres sources, et notamment la Convention EDH en raison de son importance. Cependant, ajouter la Convention EDH à cette disposition apparaît peu utile dès lors que la correspondance Charte/Convention EDH est déjà établie. Par ailleurs, cette disposition figurant dans le titre spécifique à l’Union, il semble peu cohérent de faire appel à d’autres sources internationales de protection des droits de l’Homme.
3. Les effets escomptés et leur justification
Cette proposition consiste à renforcer l’attachement de la République française à la protection des droits fondamentaux en se référant à une source européenne qui est, au fond, assez méconnue du grand public. Un tel mécanisme de droits correspondant tend également à montrer que certains principes fondamentaux ne sont pas propres à la France et sont partagés avec les autres membres de l’Union, et sont la traduction des valeurs de l’Union. Au-delà de ces aspects symboliques, l’inscription de cette disposition dans la Constitution facilite la démarche du Conseil constitutionnel lorsqu’il est conduit à écarter l’identification d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Dès lors qu’un droit figure dans la Charte, il ne peut être interprété comme un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
Nouvel article
article 88-2
Dans la mesure où la Constitution contient des droits correspondant à des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Charte.