1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Le traité de Maastricht (entré en vigueur en 1993) a introduit en droit de l’Union, en son article 8 B, alinéa 1, la disposition selon laquelle « tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ». En raison des modifications successives des traités sur l’Union, la même disposition se retrouve actuellement à l’article 20 TFUE ou à l’article 40 de la Charte des droits fondamentaux. Aussi, une directive adoptée peu après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht met en œuvre les modalités d’application du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens résidant dans un État membre autre que celui dont ils sont ressortissants aux élections municipales[1].
Fort logiquement, la France a pris les dispositions nécessaires pour permettre à un citoyen européen de participer aux élections municipales, en tant qu’électeur ou en tant que candidat, avec la précision néanmoins que le citoyen européen ne peut exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, de même qu’il ne peut participer à l’élection des sénateurs s’il parvient à être élu, comme le prévoit l’article 88-3 de la Constitution. De telles restrictions à l’éligibilité sont prévues, et donc admises, par la directive régissant l’exercice du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens aux élections municipales[2].
D’autres États membres de l’Union appliquent le droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens de manière moins restrictive : par exemple, la Suède et la Finlande ouvrent le droit de vote des ressortissants étrangers (pas seulement les ressortissants de l’Union d’ailleurs) aux élections municipales mais aussi à d’autres élections locales ; de son côté, l’Espagne permet à un citoyen européen d’exercer les fonctions de maire en cas d’élection. Par comparaison, la France applique le droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens de manière stricte, et deux évolutions pourraient être envisagées.
2. Le remède : la proposition
La première évolution serait de ne pas réserver le droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens aux seules élections municipales, mais de l’étendre à toutes les élections locales, c’est-à-dire les élections départementales et régionales. Il relève d’une certaine logique de faire une distinction entre les élections nationales et les élections locales et d’exclure les citoyens européens du corps électoral pour la première catégorie, c’est-à-dire l’élection présidentielle et les élections législatives, puisqu’il s’agit d’élire des représentants de la Nation française. En revanche, il est peu compréhensible de faire une distinction entre les différentes élections locales et d’exclure les citoyens de l’Union des élections départementales et régionales dès lors qu’ils participent déjà aux scrutins municipaux. Par conséquent, la proposition consiste à modifier l’article 88-3 de la Constitution pour viser l’ensemble des élections locales et donner le droit de vote et d’éligibilité aux citoyens européens pour les élections municipales (ce qui est déjà prévu), départementales et régionales.
La deuxième évolution serait de supprimer la restriction à l’éligibilité des citoyens européens. Bien que cette possibilité soit permise par le droit de l’Union, il en résulte une éligibilité à deux vitesses, les nationaux français pouvant accéder à toutes les fonctions permises par l’élection alors que les citoyens européens ressortissants d’autres États membres doivent se contenter de fonctions plus restreintes. En revanche, il est vrai que la participation des citoyens européens à l’élection des sénateurs peut être plus problématique, mais sans doute possible en considérant que le Sénat représente les collectivités territoriales et non pas la Nation française comme l’Assemblée nationale. Ce dernier point suscitant sans doute réflexion, il est sans doute plus raisonnable au stade de cette proposition de renvoyer la question à une Loi organique.
3. Les effets escomptés et leur justification
De telles modifications de l’article 88-3 de la Constitution ne seraient sans doute pas de nature à radicalement changer les équilibres politiques aux élections locales, les citoyens européens ressortissants d’un autre État membre résidant en France ne représentant pas une forte proportion de la population (selon les données 2021 de l’INSEE, les citoyens européens ressortissants d’un autre État membre représentent 2,2 % de la population). Rien ne semble donc s’opposer à une correction d’une situation assez peu logique consistant à ne permettre leur participation qu’aux élections municipales.
Ceci étant, ces modifications peuvent également s’analyser comme une volonté de renforcer la dimension politique de la citoyenneté européenne et œuvrer en ce sens pour une meilleure intégration des citoyens de l’Union en France. Il s’agit d’aller plus loin que les dispositions du droit de l’Union et d’octroyer de nouveaux droits aux citoyens européens résidant en France.
[1] Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité, JO L 368, 31/12/1994, pp. 38-47.
[2] Directive 94/80/CE, Article 5, alinéa 3 : « Les États membres peuvent disposer que seuls leurs propres ressortissants sont éligibles aux fonctions de chef, d’adjoint ou de suppléant ou encore de membre du collège directeur de l’exécutif d’une collectivité locale de base si ces personnes sont élues pour exercer ces fonctions pendant la durée du mandat ».
Article 3
La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.
Article 3
La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. Sont également électeurs, dans les mêmes conditions que les nationaux, tous les citoyens européens majeurs des deux sexes résidant en France, pour les élections qui leur sont ouvertes.
Article 88-3
Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d’application du présent article.
Article 88-3
Sous réserve de réciprocité et Selon les dispositions de droit de l’Union européenne en vigueur, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales est accordé aux seuls citoyens européens résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Le droit de vote et d’éligibilité aux élections départementales et régionales peut également être accordé aux citoyens européens résidant en France. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d’application du présent article.