1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Le recours aux ordonnances, devenu excessif, prive l’article 24 de la Constitution de sa portée, en ce qui concerne tant sa fonction de législation que sa fonction de contrôle. Si le rôle des Chambres dans le cadre d’un régime parlementaire contemporain consiste plus à contrôler l’action du Gouvernement qu’à légiférer, ces deux fonctions sont en réalité étroitement liées dans le cadre de la procédure de l’article 38, les ordonnances étant adoptées, suivant ses termes, pour l’exécution, par le Gouvernement, de son programme. Il semble donc qu’abandonner à ce dernier, par voie d’ordonnances, une part importante de la production législative (entre 2007 et 2022, 50,2 % en moyenne des textes intervenus dans le domaine de la loi ont été adoptés par voie d’ordonnance), qui échappe de ce fait à toute délibération parlementaire, nuit non seulement à la dignité de la loi, à sa clarté et à sa stabilité, mais également à sa capacité de contrôle, laquelle passe également par une plus grande implication du Parlement dans l’encadrement de cette pratique de législation déléguée.
2. Le remède : la proposition
Le remède ne saurait être univoque, le problème tenant à la fois aux pratiques du Gouvernement (en 15 ans, le nombre d’ordonnances publiées a plus que doublé par rapport à la période 1984-2007 ; le nombre d’ordonnances adoptées annuellement ayant quant à lui été multiplié par 5) et à une forme de relâchement de la vigilance des Chambres, aussi bien au stade de l’habilitation qu’à celui de la ratification (26,1 % seulement des ordonnances publiées durant le dernier quinquennat ont été ratifiées).
Il s’agit donc à la fois d’encadrer le recours à cet instrument de la part du Gouvernement (et de sa majorité) et d’inciter les parlementaires à se saisir des moyens dont ils disposent pour contrôler cette pratique et en conserver la maîtrise (en ce sens, le dispositif de suivi récemment mis en place par le Sénat est un progrès). À cette fin, trois propositions sont faites :
1 – Resserrer le principe du recours aux ordonnances en limitant le champ d’application matériel de l’article 38 à deux hypothèses (al. 1er) :
- d’une part, aux mesures qui contribuent à la mise en œuvre du programme gouvernemental (ou d’une déclaration de politique générale) : déjà présente dans le texte mais jusqu’ici restée lettre morte, cette mention est rendue contraignante par le renvoi exprès à l’article 49 et s’inscrit en cohérence avec la proposition relative à l’investiture parlementaire du Gouvernement ;
- d’autre part, aux mesures justifiées par l’urgence (afin de conserver au Gouvernement une certaine marge de manœuvre, particulièrement en situation de crise).
[Les cas de la codification à droit constant de dispositions législatives et de l’adaptation des lois aux collectivités régies par l’article 73 ont été retirés, d’abord pour ne pas alourdir le texte, ensuite parce qu’ils peuvent être anticipés par le Gouvernement dans le cadre d’une DPG de l’art. 49, al. 1].
2- Faciliter le contrôle ex ante des ordonnances.
- La demande d’habilitation devra faire l’objet d’un projet de loi à part entière et ne pourra être noyée parmi les dispositions d’un texte plus général, au risque que son examen puisse être contraint sous l’effet, parfois combiné, de la procédure accélérée, du vote bloqué, voire d’un recours à l’art. 49, al. 3. C’est le sens du renvoi à l’art. 39 (al. 4).
- L’objet et le délai d’adoption des ordonnances devront être mieux encadrés par la loi d’habilitation. La nouvelle rédaction de l’al. 1er a ainsi pour but d’inciter le législateur à définir l’objet de l’habilitation le plus précisément possible et à fixer un délai avant lequel les ordonnances devront (et non pourront) être adoptées, le but étant de réduire la durée, souvent excessive, séparant l’habilitation et la signature des ordonnances (en moyenne 18 mois en 2016).
- Un renvoi à la loi organique est également prévu pour accroître le contrôle du Parlement entre l’habilitation et la signature (al. 4) : on peut songer à l’obligation d’assortir le projet d’ordonnance d’une étude d’impact (référence faite aux « modalités de présentation ») ; à la publication ou à tout le moins à la communication aux Chambres de l’avis rendu par le Conseil d’État ; à l’exigence d’un avis (nonconforme) des commissions parlementaires compétentes au fond préalablement à l’adoption des ordonnances en Conseil des ministres.
3- Systématiser le contrôle ex post.
Principal levier visant à responsabiliser le Gouvernement et le Parlement dans le recours aux ordonnances ainsi que dans leur contrôle : il est proposé qu’une ordonnance soit frappée de caducité dès lors que le projet de loi de ratification n’a pas été examiné par les Chambres (et non plus seulement déposé par le Gouvernement) dans le délai imparti (al. 2).
3. Les effets escomptés et leur justification
1- La limitation du champ matériel de l’article 38 doit être mise en lien avec la proposition d’inscrire les lois d’habilitation parmi les textes obligatoirement déférés au Conseil constitutionnel (art. 61, al. 1er). Elle pourrait ainsi donner lieu à une systématisation du contrôle exercé par le Conseil sur le périmètre des habilitations délivrées par le Parlement, lequel apprécierait, soit le lien suffisant entre les mesures envisagées et le programme du Gouvernement (ce qui suppose que ce programme soit formellement présenté devant l’Assemblée nationale a minima), soit leur caractère urgent. Elle présente enfin l’intérêt de pousser le Gouvernement à justifier en amont le recours aux ordonnances et de revaloriser l’idée de programme. L’exigence, ajoutée à l’al. 1er, pour le projet de loi d’habilitation de définir avec précision l’objet de la demande d’autorisation va dans ce sens, en même temps qu’elle fournit au Conseil constitutionnel une base pour son contrôle.
2- L’exigence, pour l’habilitation comme pour la ratification, d’un projet de loi déposé dans les conditions de l’art. 39, évite que l’autorisation et sa validation ne soient introduites en cours de procédure par voie d’amendement gouvernemental et impose également, non seulement un avis à part entière du Conseil d’État, mais aussi une étude d’impact spécifique (cela devra être précisé par la loi organique). Elle tend aussi – par la mention « inscrits à l’ordre du jour » – à habiliter la Conférence des présidents à contrôler la recevabilité des projets de loi d’habilitation (là encore, une précision expresse par la loi organique serait utile).
3- Le nouveau cas de caducité, a pour objet à la fois d’éviter que le dépôt d’un projet de loi de ratification ne se réduise à une formalité dépourvue de suites, et d’inciter les Chambres à se saisir de cet outil pour recouvrer la maîtrise de ce qui constitue désormais une part importante de la production législative (en contrôlant notamment que le Gouvernement ne s’est pas éloigné de la feuille de route qui lui avait été confiée, et en opérant, le cas échéant, les modifications nécessaires). Il ne pourra dès lors y avoir que trois hypothèses : l’adoption du projet de loi de ratification, conférant valeur législative aux dispositions de l’ordonnance ; le rejet du projet de loi de ratification, conservant aux dispositions de l’ordonnance leur valeur réglementaire ; le non-dépôt ou le non-examen du projet de loi de ratification, aboutissant tous deux à la caducité de l’ordonnance.
Article 38
Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. À l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.
Article 38
Le Gouvernement peut, pour l’exécution du programme ou d’une déclaration de politique générale mentionnés à l’article 49, ou si l’urgence l’exige, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pour un objet déterminé et dans un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas examiné par le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
À l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par une loi dans les matières qui sont du domaine législatif.
Les projets de loi d’habilitation et de ratification sont déposés et inscrits à l’ordre du jour des assemblées dans les conditions prévues à l’article 39. Une loi organique détermine les modalités de présentation des ordonnances ainsi que les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle leur élaboration et leur exécution.