1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Le régime actuel de responsabilité pénale des membres du Gouvernement a été créé en 1995, pour permettre qu’une réponse juridique et juridictionnelle soit apportée aux victimes du « sang contaminé ». Il s’agissait ainsi, dès l’origine, de pallier les déficiences du défaut d’engagement de la responsabilité politique.
Depuis lors, l’engagement de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement est souvent recherchée car la responsabilité politique ne peut être ou n’a pas été engagée. Or les deux régimes ne sauraient être confondus.
Par ailleurs, si les membres du Gouvernement ne font pas l’objet d’une justice d’exception, car ils sont soumis aux règles du droit commun, ils bénéficient d’une juridiction d’exception, majoritairement composée de parlementaires, ce qui conforte au moins un sentiment, voire une situation de justice politique, davantage que de justice pénale.
2. Le remède : la proposition
Proposée à de nombreuses reprises (en 2013, en 2018 et en 2019), la suppression de la Cour de Justice de la République n’a jamais été adoptée. Il semblerait pourtant que règne un relatif consensus politique quant à sa suppression et que ces échecs soient ainsi davantage dus à un concours de circonstances qu’à un doute ou une réserve quant à l’opportunité de cette suppression.
Le maintien d’une juridiction d’exception, a fortiori ainsi politisée, n’est plus acceptable. La question qui demeure alors est celle du régime de substitution.
Faut-il remettre totalement la responsabilité des membres du Gouvernement aux juridictions de droit commun ? Le risque serait grand, alors, de voir de nombreuses plaintes déposées par des citoyens qui entendent ainsi contester l’action politique d’un membre du Gouvernement et non se plaindre directement d’une potentielle infraction.
Faut-il, à l’inverse, offrir une immunité aux membres du Gouvernement qui, sans atteindre le régime dont bénéficie le Président de la République, pourrait être alignée sur celle des parlementaires ? La solution est envisageable et mérite d’être discutée. Toutefois, leur qualité de chef d’un large service administratif les place dans une situation différente de celles des parlementaires, justifiant un traitement spécifique.
Une troisième solution consiste alors à confier l’appréciation de la responsabilité des membres du Gouvernement à une juridiction de droit commun, tout en prévoyant une appréciation de l’opportunité des poursuites par une instance composée de magistrats et de parlementaires. On peut également assortir cette proposition d’une restriction des infractions pour lesquelles la responsabilité des membres du Gouvernement pourra être engagée, afin de minimiser les possibles dénaturations politiques de la responsabilité pénale.
3. Les effets escomptés et leur justification
Lorsque les faits reprochés sont directement liés à l’exercice de l’action politique, on peut alors considérer que la faute du ministre, pût-elle être qualifiée de pénale, n’est pas détachable de son action : c’est une faute de la fonction, rattachable à l’État, non une faute personnelle. Tel n’est pas le cas d’un ministre qui profite de son portefeuille officiel pour remplir son portefeuille personnel, donc en bénéficiant d’un enrichissement pour lui-même ou pour autrui. Mais tel peut être le cas d’un ministre qui dissimule des informations au grand public, tout en les livrant à ses collègues du gouvernement, au Premier ministre et au Président de la République, en entendant préserver l’action gouvernementale ou en évitant d’entretenir une panique générale.
Une première évolution consiste ainsi à restreindre les modalités d’engagement de la responsabilité pénale des ministres, en précisant qu’elle ne peut être activée que pour des faits dont ils ont directement ou indirectement tiré un avantage pour eux-mêmes ou pour autrui.
Ensuite, concernant l’engagement de la responsabilité, la Cour de justice de la République doit être supprimée afin de mettre fin au privilège de juridiction dont bénéficient les membres du Gouvernement et en les rendant passibles de la juridiction ordinaire. Cette suppression et le renvoi à la juridiction ordinaire se complètent par la création d’une chambre destinée à filtrer les requêtes, afin d’éviter qu’un ministre, par définition exposé et contesté, ne soit soumis à la vindicte populaire et sommé de répondre pénalement à toutes les attaques dont il ferait inévitablement l’objet. C’est ici, et seulement ici, qu’une place peut encore être réservée à des personnalités politiques, car apprécier le bienfondé pénal d’une plainte contre une personnalité politique opère à juste proportion entre les connaissances du droit pénal et de l’action politique. Cette chambre des requêtes pourra donc accueillir des parlementaires, sans qu’ils soient toutefois majoritaires. Une majorité de magistrats pourra ainsi décider d’accueillir une plainte, en étant éclairés par l’expérience politique des parlementaires.
Encore faudra-t-il s’assurer que les magistrats eux-mêmes ne sont pas animés par des motivations politiques, voire vindicatives à l’égard de la classe politique. La collégialité et le double degré de juridiction doivent y contribuer, mais des risques de dysfonctionnement ne peuvent être exclus. Le mécanisme des contrepouvoirs doit ici être pleinement activé, grâce au regard vigilant du Conseil supérieur de la magistrature, qui contribue à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Article 68-1
Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi.
Article 68-1
Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis, dès lors qu’ils en ont tirés un avantage pour eux-mêmes ou pour autrui. Leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable.
Ils sont poursuivis et jugés devant les formations compétentes, composées de magistrats professionnels, de la cour d’appel de Paris.
Article 68-2
La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République.
Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes.
Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République.
Le procureur général près la Cour de cassation peut aussi saisir d’office la Cour de justice de la République sur avis conforme de la commission des requêtes.
Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.
Article 68-2
Le ministère public, la juridiction d’instruction ou toute personne qui se prétend lésée par un acte mentionné à l’article 68-1 saisit la commission des requêtes prévue à l’article 68-3.
La commission apprécie la suite à donner à la procédure et en ordonne soit le classement, soit la transmission au procureur général près la cour d’appel de Paris qui saisit alors la cour.
Article 68-3
Les dispositions du présent titre sont applicables aux faits commis avant son entrée en vigueur.
Article 68-3
La commission des requêtes chargées d’apprécier les suites à donner à une procédure pénale engagée contre un membre ou un ancien membre du Gouvernement est composée de treize membres.
Elle comprend trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la commission, deux membres du Conseil d’État, deux magistrats de la Cour des comptes, trois députés et trois sénateurs.
La loi organique détermine les conditions d’application du présent titre, dont les dispositions sont applicables aux faits commis avant son entrée en vigueur.