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Les limites à la révision constitutionnelle

— PROPOSITION SUR L’ARTICLE 89, AL. 5 —

Ajout d’une seconde limite matérielle à la révision constitutionnelle par l’interdiction de réviser le caractère laïc de l’État

Rédacteur(s)

PARENT Christophe

Proposition(s)

XI. Revoir les modalités de révision constitutionnelle

88.A Les limites à la révision constitutionnelle

Révision de l’article 89 pour interdire toute révision relative au caractère laïc de l’État.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

La République s’est dotée, depuis 1884, d’une « clause d’éternité » destinée à protéger la forme républicaine de son Gouvernement. La doctrine formaliste, attachée à une approche procédurale de la démocratie, demeure sceptique quant à toute velléité de brider l’expression de la volonté générale ; en particulier celle du pouvoir constituant. On se souvient de Georges Burdeau considérant l’interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement comme « un acte de foi nécessairement dépourvu de sanction et qu’on ne saurait légitimement opposer à la volonté nationale […] »[1]. En France, la question des limites matérielles au pouvoir de révision n’a pas les faveurs de la doctrine ; tant s’en faut2. Au risque cependant d’offrir les principes parmi les plus essentiels à des majorités peu inspirées. Ce n’est pas sans raison que la République fédérale d’Allemagne s’est dotée après-guerre de clauses d’éternité protégeant la démocratie et les droits fondamentaux, ainsi que le fédéralisme.

Une approche substantielle de la Constitution se révèle pourtant indissociable du modèle français. À ce titre la laïcité doit être regardée comme un principe structurant de notre identité constitutionnelle. Or, force est de constater que seule la République se voit aujourd’hui protégée du pouvoir constituant dérivé. La laïcité demeure théoriquement à la merci du constituant référendaire ou du Congrès.

2. Le remède : la proposition

Dans ces conditions la proposition vise à intégrer à l’article 89 alinéa 5 une seconde limite matérielle à la révision constitutionnelle. Il s’agirait alors de priver le pouvoir constituant dérivé de toute possibilité de supprimer le caractère laïc de l’Etat. L’article 89 alinéa 5 serait ainsi rédigé :

Article 89 al. 5 : « La forme républicaine du Gouvernement, et le caractère laïc de l’État, ne peuvent faire l’objet d’une révision ».

3. Les effets escomptés et leur justification

Depuis près d’une décennie les sondages s’enchainent et ne manquent pas d’interroger les défenseurs du principe de laïcité. Force est de constater une défiance accrue, en particulier chez les jeunes générations, à l’égard de la laïcité à la française. Des voix de plus en plus nombreuses appellent à faire montre de « souplesse »[2]. Naturellement la loi de 1905 fait l’objet d’interprétations contrastées depuis sa naissance. Et elle continuera à le faire. La question n’est pas là. Mais son principe, lui, doit échapper au débat. Parce que la laïcité paraît plus que jamais nécessaire – en des temps où elle est insidieusement attaquée (en particulier à l’école publique[3]) – cette proposition vise à élever son principe au rang des dispositions intangibles de la Constitution, au même titre que la forme républicaine du gouvernement. Alors que des sondages laissent paraître la propension d’une partie de la jeunesse à placer les valeurs de la religion audessus des valeurs de la République[4], cette dernière doit réaffirmer avec force son attachement résolu et intangible au principe de laïcité.

[1] G. BURDEAU, Essai d’une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit positif français, thèse, Paris, 1930, p. 3. 2 O. BEAUD, « Le cas français : l’obstination de la jurisprudence et de la doctrine à refuser toute idée de limitation au pouvoir de révision constitutionnelle », Jus Politicum, n° 18.

[2] En février 2021, dans l’hémicycle, Jean-Luc Mélenchon condamnait vertement toute approche de la laïcité qui en ferait un « athéisme d’Etat ».  

[3] L’enseignement public affronte en effet, depuis quelques mois, une nouvelle guerre larvée et dont les tenues vestimentaires communautaristes ne sont qu’un instrument. Le 7 mai dernier le ministre de l’Education nationale révélait ainsi que, durant le seul mois de mars, 500 atteintes à la laïcité avaient été comptabilisées (soit près du double en regard du mois précédent). Les études d’opinion laissent transparaître l’aspiration d’une partie de la jeunesse à remettre en cause les lois interdisant le port de signes religieux. Une étude de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme révélait ainsi au printemps 2021 que plus de la moitié des jeunes lycéens (54 %) se disent désormais favorables au port de tels signes d’appartenance dans les établissements scolaires. Au sein même de la communauté enseignante les personnels âgés de moins de trente ans se montrent nettement plus réservés que leurs aînés et appellent de leurs vœux une laïcité « ouverte » ou « inclusive ». Le modèle multiculturel à l’anglo-saxonne gagne ainsi inexorablement du terrain. C’est ce que révélait une étude commandée par la Fondation Jean Jaurès à l’été 2021.

[4] Un sondage Ifop de septembre 2020 révélait que 74 % des Français de confession musulmane âgés de moins de 25 ans placent leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République (contre 42 % des 25-35 ans, et « seulement » 25 % des 35 ans et plus).

Article 89 al. 5

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision.

Article 89 al. 5

La forme républicaine du Gouvernement, et le caractère laïc de l’État, ne peuvent faire l’objet d’une révision.