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Exclusivité de la procédure de révision constitutionnelle et contournement du blocage par l’une ou l’autre des assemblées

— PROPOSITION SUR L’ARTICLE 89 —

Rédacteur(s)

QUINART Émilien

Proposition(s)

XI. Revoir les modalités de révision constitutionnelle

85.B Exclure les lois constitutionnelles du domaine de l’art. 11

Révision de l’article 89 pour prévoir qu’il s’agit de la procédure exclusive pour réviser la Constitution.

XI. Revoir les modalités de révision constitutionnelle

88.B Les limites à la révision constitutionnelle

Révision de l’article 89 pour interdire que la garantie des droits puisse faire l’objet d’une révision.

XI. Revoir les modalités de révision constitutionnelle

89.B Surmonter le désaccord entre les assemblées par référendum

Révision de l’article 89 pour qu’en cas de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République puisse soumettre à référendum le texte adopté à la majorité des trois cinquième des suffrages par l’une des assemblées.

1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif

En 1962, devant l’opposition du Sénat, incarnée alors par son président Gaston Monnerville[1], le général de Gaulle décide de recourir à l’article 11 de la Constitution pour réviser la Constitution (élection du Président de la République au suffrage universel direct). La pratique est alors considérée par la grande majorité des interprètes, non certes la totalité, comme un détournement de procédure : à l’époque le Conseil d’État dans son avis sur le projet de révision (1er octobre 1962, n°286146) et le Conseil constitutionnel (dans une note officieuse remise au général de Gaulle[2]) marquent leur désapprobation. La doctrine universitaire – Georges Berlia, Maurice Duverger, Paul Bastid, Georges Burdeau, Pierre-Henri Teitgen, et plus tard Georges Vedel – est presque unanime à dénoncer le détournement de procédure. Dès lors qu’il existe un titre spécifiquement consacré à la révision de la Constitution (l’article 89), et que l’ancien article 85 prévoyait expressément une « dérogation à la procédure prévue à l’article 89 » pour réviser le fonctionnement des institutions de la Communauté sans que cette mention ne soit reproduite à l’article 11, l’usage du référendum de l’article 11 semble proscrit pour réviser la Constitution. Dans sa décision du 6 novembre 1962, le Conseil constitutionnel se reconnaît néanmoins incompétent – conformément à l’esprit de la Constitution – pour statuer sur la constitutionnalité de la loi adoptée par référendum, laquelle constitue « l’expression directe de la souveraineté nationale » (Cons. const., 6 novembre 1962, n°62-20 DC, cons. 2).

La validation implicite de la procédure par le peuple, la réitération du précédent en 1969, les positions des interprètes authentiques successifs, laissent cependant planer aujourd’hui encore une incertitude sur la constitutionnalité de l’usage de l’article 11 pour réviser la Constitution. Cette incertitude n’est pas satisfaisante. Elle enfiévrie régulièrement les débats, en témoigne la campagne présidentielle de 2022 et la question du recours au référendum pour inscrire la « priorité nationale » dans la constitution.

L’article 89 de la Constitution – à supposer qu’il s’agisse d’une procédure exclusive – confère cependant un pouvoir de blocage à l’une des deux assemblées (particulièrement au Sénat) au stade de l’examen et du vote du projet ou de la proposition de révision en « termes identiques » (alinéa 2 de l’article 89). Ce pouvoir conféré aux chambres, s’il contribue à la recherche de l’unité nationale dans la procédure de révision, n’est pas satisfaisant car il s’apparente à un droit de veto. Il revient à bloquer ou à dénaturer une révision constitutionnelle pour des considérations parfois purement partisanes (faute de majorité présidentielle ou gouvernementale au Sénat). En témoigne en 2021 l’échec de l’inscription de la « préservation de l’environnement » à l’article 1er de la Constitution (Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, n° 3787).

2. Le remède : la proposition

La proposition entend réaffirmer l’exclusivité du recours à l’article 89 pour réviser la Constitution. Mais cette exclusivité n’est admissible qu’à condition de modifier la procédure de révision afin de permettre de contourner un blocage par l’une ou l’autre des deux assemblées. Il est donc envisagé – comme l’avait proposé le Comité Vedel en 1993 et le Comité Balladur en 2007 – qu’en cas de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République puisse soumette au référendum le texte adopté à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés par l’une ou l’autre de ces deux assemblées.

3. Les effets escomptés et leur justification

La clarification textuelle du régime de la procédure de révision constitutionnelle facilitera le travail des interprètes authentiques. Le Conseil constitutionnel – saisi dans les conditions prévues par l’article 11 (cf. proposition correspondante) – chargé de contrôler la constitutionnalité des textes soumis au référendum législatif pourra s’opposer dans tous les cas à l’usage de l’article 11 (y compris dans l’hypothèse d’un référendum d’initiative présidentielle) pour réviser la Constitution.

La procédure de révision de la Constitution est en outre rendue plus démocratie. Aucune assemblée, aucun groupe politique, ou une minorité de représentants, ne pourra disposer du pouvoir de bloquer une révision constitutionnelle. L’unité nationale nécessaire autour de la modification de la Constitution demeurera assurée par les conditions de majorité renforcée exigées à l’une et / ou l’autre des étapes de la procédure de révision prévue à l’article 89 dans sa nouvelle rédaction.

[1] Sur cet épisode, et son appréhension constitutionnelle, v. notamment L. NOËL, De Gaulle et les débuts de la Ve République, 19581965, Paris : Plon, 1976, p. 177 s.

[2] Ibid., p. 223.

Article 89

L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. 

Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. 

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision.

Article 89

La Constitution est révisée dans les formes suivantes.

L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Lorsque le projet ou la proposition de révision a été voté par les deux assemblées en termes identiques, la révision est définitive après avoir été approuvée par un référendum.

Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.

Lorsque le projet ou la proposition de révision n’a pas été voté en termes identiques après deux lectures dans chaque assemblée, le Président de la République peut soumettre au référendum le texte adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par l’une ou l’autre des assemblées.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. 

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision.