1. Les maux : une culture constitutionnelle jurisprudentielle approximative des droits et libertés
L’on ne saurait se satisfaire de ce que la Constitution française apparaisse, aujourd’hui encore, comme une Constitution classique, c’est-à-dire sans catalogue des droits et libertés intégré dans le texte même de la Constitution. Si l’on sait ce qu’il en est de la position du Conseil constitutionnel, validée par la révision constitutionnelle du 1er Mars 2005, il n’en reste pas moins vrai que les droits et libertés demeurent dans le Préambule de la Constitution et non pas dans le corps même de la Constitution.
La question peut sembler purement formelle ; elle nous semble emporter des conséquences symboliques et pratiques importantes : les droits et libertés demeurent à la périphérie du texte constitutionnel et ne sont pas pris au sérieux par le Conseil constitutionnel.
Ces dernières, dans le prolongement de la décision du 16 juillet 1971, demeurent en effet à la merci du juge constitutionnel : lorsqu’il s’agit de concrétiser certains droits ou libertés « sensibles » (droit à la participation des travailleurs, obligation de nationalisation, OVC de logement décent…), de qualifier un droit ou une liberté comme étant « garanti par la Constitution » ,au sens de l’article 61-1 de la Constitution, de « créer » un nouveau droit ou une nouvelle liberté (en particulier à partir de la devise de la République…) ou encore de catégoriser les droits et libertés (exigences constitutionnelle, intérêt général, OVC…)… Pour le dire autrement, le Conseil constitutionnel s’émancipe avec beaucoup trop de légèreté des dispositions constitutionnelles écrites. Il faut entendre à cet égard les membres du Conseil constitutionnel qui rappellent souvent, au moins dans des interventions orales (publiques), que le juge constitutionnel « s’appuie » sur les dispositions de la Constitution pour rendre ses décisions, cet élément de langage fait sens : le Conseil constitutionnel n’applique pas la Constitution, il « s’appuie » sur celle-ci pour résoudre les questions de régularité législative.
Les droits et libertés apparaissent ainsi comme étant à la merci du pouvoir discrétionnaire du Conseil constitutionnel, quand l’exercice de ce pouvoir n’aboutit pas à des irrégularités constitutionnelles. Il faut modifier la culture constitutionnelle approximative du Conseil constitutionnel autour des droits et libertés constitutionnels. Rappelons encore, et il n’est sans doute pas inutile de rappeler des évidences, que c’est au pouvoir constituant ou au pouvoir de révision constitutionnelle de consacrer les droits, liberté et devoirs dans le texte de la Constitution et non pas au juge constitutionnel.
2. Le remède : prendre les droits et libertés au sérieux par une formalisation constitutionnelle dispositionnelle
Prendre les droits et libertés au sérieux impose en premier de faire entrer la Déclaration de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004 dans le texte même de la Constitution et, en l’occurrence, dans son article 1er.
L’essentiel de son contenu actuel est par ailleurs maintenu, même si ce contenu est précisé avec des ajouts (consécration d’un principe de non-discrimination, égalité de principe entre les nationaux et les étrangers et reprise de l’utilité commune, prévue par la Déclaration de 1789, comme critère justifiant une différenciation législative, à la place de l’intérêt général) et une suppression (l’organisation décentralisée, qui ne signifie rien).
Sont ajoutés ensuite une liste exhaustive (à compléter éventuellement suite aux discussions collectives) de droits, libertés et devoirs (voir le texte de la proposition, même si nous nous sommes contentés de leur dénomination sans proposer de formulation explicite des normes s’y rapportant, faute de temps). Cette distinction droits, libertés, devoirs permet de catégoriser les trois types qui sont déjà consacré dans les éléments actuels du « bloc de constitutionnalité ».
La liste est exhaustive (et des libertés jurisprudentiellement reconnues ont été volontairement écartées de cette liste : liberté d’entreprendre et liberté contractuelle) et il est interdit au Conseil constitutionnel d’ajouter d’autres droits, libertés ou devoirs ; seul le pouvoir de révision constitutionnel étant en mesure de le faire.
Une clarification catégorielle est posée, avec les trois catégories suivantes : les libertés, droits et devoirs. Il faut rappeler à cet égard que la Charte de l’environnement contient déjà des devoirs. Pour synthétiser rapidement la distinction : les libertés sont des permissions d’agir, les droits, des habilitations à exiger des comportements de la part de certains obligés et les devoirs des obligations ou des interdictions d’agir. Cette clarification dans le texte constitutionnel commanderait la même clarification conceptuelle du Conseil constitutionnel et, peut-être, au-delà, un abandon des catégorisations approximatives (exigences constitutionnelles, principes constitutionnels, objectifs de valeur constitutionnelle…) Est encore consacré l’effet direct et horizontal des droits, liberté et devoirs consacrés.
Il faut enfin ajouter une modification de coordination en mentionnant, dans l’article 61-1 de la Constitution, les « droits, libertés et devoirs consacrés par la Constitution », excluant ainsi toute création jurisprudentielle. À cette occasion, il fait également autoriser, par un renvoi à la loi organique, la possibilité de soulever une QPC devant le Conseil constitutionnel statuant en tant que juge électoral (qui est aujourd’hui encore contraire à l’alinéa 1er article 61-1 de la Constitution).
[1] Il ne s’agit ici que de proposer une liste de droits, libertés et devoirs sans les accompagner de l’énoncé normatif qui les formalise, faute de temps, mais cette rédaction sera réalisée ultérieurement. Par ailleurs, la liste pourra évidemment être complétée en fonction des discussions collectives.
Article 1er
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.
Son organisation est décentralisée.
Article 1er
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Toute différenciation établie par la loi ne saurait reposer que sur l’utilité commune. La République respecte toutes les croyances.
Elle interdit toute discrimination fondée sur des critères contraires aux valeurs républicaines.
Elle reconnaît la valeur constitutionnelle des droits, libertés et devoirs consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen DHC, par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et par la Charte de l’environnement de 2004.
Elle consacre, par ailleurs, les droits, libertés et devoirs suivants[1] :
- Le respect de la dignité humaine
- L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants
- Les droits de la défense
- Le droit à un recours juridictionnel effectif
- Le droit à procès équitable
- Le droit à être jugé dans un délai raisonnable
- La présomption d’innocence
- L’impartialité de la justice
- L’extradition ne saurait être accordée lorsqu’elle est demandée dans un but politique
- L’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances
- La protection des données personnelles
- La liberté de la presse et des médias, et l’interdiction des positions dominantes dans le domaine des médias et de l’édition
- L’interdiction des monopoles et des abus de position dominante dans le respect des exigences du droit de l’Union européenne
- La liberté de la culture
- Les libertés universitaires
- La liberté de réunion et de manifestation
- Le droit au logement
- Le droit à la sécurité sociale, à la retraite
- Le droit à l’interruption de grossesse dans les conditions et dans un délai fixé par la loi
- La loi doit contenir des normes
- Les étrangers résidant régulièrement en France disposent, en principe, des mêmes droits, libertés et devoirs que ceux reconnus aux nationaux.
Toute consécration d’un nouveau droit, d’une nouvelle liberté ou d’un nouveau devoir ne saurait être le fait que du pouvoir de révision constitutionnelle.
Les droits, libertés et devoirs consacrés par cet article s’imposent directement à toutes les personnes publiques et privées.
Article 61-1
Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.
Article 61-1
Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits, libertés et devoirs consacrés par la Constitution, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. Elle établit, en particulier, les conditions dans lesquelles, en dérogation à l’alinéa précédent, une question de constitutionnalité peut être soulevée directement devant le Conseil constitutionnel statuant en tant que juge électoral.