1. Les dysfonctionnements ou lacunes du droit positif
Alors que le numérique prend une place toujours plus importante dans la vie quotidienne, la Constitution française ne prévoit aucune disposition relative aux droits numériques.
Sans énumérer l’ensemble des droits numériques, dont la liste est longue et discutée, on pourra seulement rappeler que certains sont d’ores et déjà consacrés dans de nombreuses constitutions nationales, par les juges constitutionnels, par les textes et juges européens, et font l’objet d’un processus de fondamentalisation. Le droit à la protection des données personnelles, le droit à l’oubli, le secret des correspondances en ligne, la liberté d’accès aux réseaux numériques, ou l’autodétermination informationnelle en font partie.
La Constitution française ne prévoit aucun de ces droits, ni ne vise les enjeux numériques.
On le sait, plusieurs conceptions de la Constitution peuvent être opposées ou rapprochées. Si l’on retient de la constitution une conception qui tend à en faire le socle d’un projet de société, l’on pourra regretter que certains enjeux majeurs, pour notre civilisation, pour les générations présentes et futures, n’y soient pas visés. Cela vaut pour certaines questions émergentes, sous conditions bien entendu de leur impact suffisamment profond et durable sur nos sociétés humaines.
La transformation de notre société liée aux technologies de communication en ligne fait partie de ces évolutions profondes, et sans doute irréversibles.
Si la technologie « numérique » pourrait céder la place à d’autres technologies plus avancées (quantique par exemple), l’activité sur les « réseaux en ligne » se poursuivra, engendrant des opportunités, mais aussi des risques dont les citoyens, et nos société démocratiques, doivent être protégés.
D’autant que tant les activités privées que les services publics, ou la vie politique, imposent désormais à l’individu d’entrer dans la société numérique.
2. Le remède : la proposition
Eu égard à la place majeure qu’il occupe dans la vie quotidienne, il paraît nécessaire que la Constitution prévoie certaines garanties. En particulier, la loi garantit son accès pour tous, de façon libre, égale, neutre et non discriminatoire. L’insertion de cet alinéa le garantira, en lien avec le respect des principes de liberté et d’égalité issus de la Déclaration de 1789. Il s’agit également de conférer un fondement spécifique aux lois en matière de protections des données personnelles et de République numérique et de poursuivre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, par laquelle il garantit la liberté d’accès à Internet (décision 2009-580 DC du 10 juin 2009) et interdit notamment de couper l’accès à internet. Que la Constitution prévoie désormais un fondement express pour que le législateur puisse intervenir et, le cas échéant, renforcer ces garanties, paraît aujourd’hui nécessaire.
Il s’agit de viser dans la Constitution, à charge pour le législateur d’en déterminer le régime de protection, deux des droits numériques les plus fondamentaux et les plus consensuels (importance pour assurer la protection de l’individu dans la société numérique) :
* la liberté et l’égalité d’accès aux services de communication en ligne ;
*le droit à la formation numérique (dénommé « dénommé droit à la formation aux NTIC » : si le « numérique » doit passer, les « services de communication en ligne » resteront).
La Constitution française a certes pour caractéristique de renvoyer à d’autres textes antérieurs, et datés (même si de portée générale et universelle), la liste des droits et libertés protégés. Cela ne favorise pas l’inscription de nouveaux droits dans le texte de 1958.
Dans un contexte institutionnel français pourtant peu propice à des interprétations extensives du Conseil constitutionnel, on compte cependant sur lui pour tirer des dispositions souvent très générales d’une déclaration datée de 1789 les solutions adaptées à un contexte tout à fait inédit !
Il n’est pas contesté que le Conseil constitutionnel est parvenu à tirer de dispositions très générales de l’article 2 sur la liberté un droit à la vie privée, qu’il a ensuite prolongé pour assurer la protection des données personnelles.
On sait aussi qu’il a prolongé la liberté de communication de l’article 11 DDHC pour en tirer une liberté d’accéder aux services de communication au public en ligne (Hadopi 2009).
Cependant, cette démarche à ses limites, et il apparait que la République française, dans son texte
…Sauf à renvoyer aux textes et aux juges européens la responsabilité de définir et protéger les droits numériques (alors même que l’objectif de la QPC, en 2010, visait à replacer la Constitution au cœur du dispositif de protection des libertés).
3. Les effets escomptés et leur justification
Le Conseil constitutionnel a admis, en les consacrant sur la base de dispositions anciennes de 1789, le caractère fondamental de deux droits numériques.
Si leur caractère fondamental n’est plus mis en doute, c’est la question de leur autonomisation qui se pose, c’est-à-dire de savoir s’ils « méritent » un fondement constitutionnel spécifique et autonome.
Cette question a déjà été débattue en France.. par exemple à l’été 2018, lorsqu’il a été question, à l’Assemblée nationale, du principe même et du contenu d’une « charte constitutionnelle du numérique ». Elle le sera encore dans l’avenir.
La question a pourtant déjà a été tranchée positivement dans de nombreux pays, y compris européens.
Promouvoir et protéger deux droits numériques figurant parmi les plus importants (et consensuels) nous semble de nature à préserver les fondements de la démocratie et à protéger les droits des individus, dont il s’agit de protéger la liberté et l’égalité d’accès aux réseaux en ligne et de favoriser la maîtrise des technologies de communication.
Les droits les plus essentiels de l’individu, ainsi que les fondements de la démocratie, sont en jeu.
Les formulations proposées permettent de valoriser le rôle du législateur, pour une mise en œuvre concrète des droits visés, plutôt que de consacrer des droits subjectifs aux contours indéfinis, dans une charte de portée mal maîtrisée et fixant des limites à l’action du législateur.
A l’article premier, le législateur est chargé de favoriser la liberté et l’égalité d’accès des individus aux services de communication en ligne », et, de façon complémentaire, à l’art 34 le législateur reçoit la compétence pour mettre en œuvre un « droit à la formation » permettant la maîtrise de ces services et technologies.
Le terme « numérique » est volontairement non utilisé.
Article 34
La loi fixe les règles concernant :
- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;
- la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
- l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie.
Article 34
La loi fixe les règles concernant :
- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;
- la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
- l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie ;
- la liberté et l’égalité d’accès aux services de communication en ligne, le droit à la formation aux nouvelles technologies de l’information et des communications en ligne, la protection, l’accès et la maitrise des données personnelles.
Le reste sans changement